Quelles innovations pour décarboner la mobilité des poids lourds ?
Secteur clé pour l’économie et véritable vivier d’emplois, le transport routier de marchandises est fortement émetteur de gaz à effet de serre (GES). En France et ailleurs, la décarbonation de la filière est un enjeu majeur dans les années à venir, pour limiter le changement climatique. Pour y parvenir, les acteurs de la filière innovent.
Transport : premier responsable des émissions de GES
Contrairement aux autres secteurs économiques, le transport routier est le seul dont les émissions ont continué d’augmenter en France depuis 1990. En France, on lui attribue 30 % des émissions de GES nationales, devant l’agriculture et la sylviculture ou encore l’industrie manufacturière et la construction. À l’échelon européen, on estime que la mobilité des poids lourds représente près d’un tiers des émissions de CO2 liées au transport.
Une législation qui se durcit
Le 21 novembre 2023, le Parlement européen actait qu’à partir de 2030, les poids lourds neufs vendus devront émettre 45 % de CO2 en moins que ceux vendus en 2019. Une ambition portée à 65 % en 2035 et 90 % en 2040.
Ces mesures s’intègrent dans un objectif de décarbonation de l’économie dans son ensemble : le pacte vert pour l’Europe qui vise, d’ici à 2030, 55 % de réduction nette des émissions de GES par rapport à 1990.
En complément de l’amélioration de l’aérodynamisme des véhicules ou encore de l’optimisation des trajets, pour éviter les voyages à vide ou « gaspillage routier » (en France, la moitié des camions seulement rouleraient avec un chargement complet), constructeurs de véhicules et gestionnaires d’infrastructures routières innovent pour décarboner la mobilité poids lourds.
Des alternatives au moteur thermique
Face à l’imminence de ce calendrier, les expérimentations et innovations pour remplacer le moteur thermique (fonctionnant au diesel) accélèrent. Carburants alternatifs et motorisation électrique, comment rouleront nos poids lourds demain : hydrogène, biogaz ou batteries électriques ?
Les véhicules à hydrogène
Les véhicules à hydrogène fonctionnent avec une pile à combustible alimentée par de l’hydrogène et du dioxygène. La réaction électromagnétique entre ces deux gaz dans la pile à combustible produit de l’énergie qui alimente la batterie et le moteur du véhicule. Avantage : aucune émission de gaz à effet de serre n’est émise par le véhicule. Inconvénient : pour que cet usage de l’hydrogène soit vertueux, il doit être produit à partir de sources d’énergie renouvelables.et nécessite le déploiement massif de stations de recharge sur le territoire. Aujourd'hui un camion à hydrogène coûterait plus de quatre fois le prix des équivalents thermiques.
L’émergence des biocarburants
Faire rouler des poids lourds au biogaz est également une opportunité plus écologique que le diesel, et renouvelable. Le biogaz est, en effet, produit à partir de la méthanisation de déchets organiques.
L’avènement du poids lourd électrique
Très prometteurs, les moteurs électriques sont en plein développement.
Pour les poids lourds, le développement de ce procédé fait face à des contraintes majeures : le poids et la taille des batteries ainsi que leur autonomie. Pesant plusieurs tonnes, les batteries affectent la performance du véhicule et sa charge utile. Par ailleurs, leur autonomie – pour des véhicules qui parcourent chaque jour de longues distances – est également un enjeu à prendre en compte, et qui nécessite le déploiement massif de bornes de recharges sur le territoire, dans les dépôts des transporteurs, aux abords des zones logistiques et le long des principaux axes routiers, ainsi qu’une bonne stabilité du réseau électrique.
Les systèmes de recharge dynamique, avenir du fret routier ?
Les limites des moteurs électriques pourraient bien être corrigées par des technologies ingénieuses « de recharges dynamiques », baptisées Electric Road Systems (ERS). Le principe est simple et permet au camion électrique de recharger sa batterie en roulant. Les batteries prenant le relai sur le reste du parcours, lorsque celui est dépourvu d’un système ERS.
Trois technologies existent...
- Inspiré du monde ferroviaire, la recharge par caténaires – câbles d’alimentation électrique – peut être adaptée à la route. Les camions, équipés de pantographes, peuvent alors s’y alimenter lors de leur passage et poursuivre ensuite leur destination, grâce au relai d’une motorisation thermique ou électrique.
- Moins contraignante que cet homologue, du fait de l’absence de câbles aériens sous tension, la recharge par induction gagne également du terrain. La présence de plaques d’induction incorporées sous la surface de la route et dans les véhicules permet d’alimenter et de recharger la batterie des camions en mouvement grâce au champ électromagnétique des bobines d’induction.
- Troisième option : une alimentation par rail conducteur développée à l’origine pour les tramways, et adaptable au transport routier dont les trajectoires sont moins rectilignes.
ERS, des tests en grandeur nature
Retenue par BPI France dans le cadre d’un appel à projets, une expérimentation déployée par un consortium d’entreprises piloté par VINCI Autoroutes va tester deux de ces technologies de recharge dynamique.
D’une durée de trois ans, ce projet baptisé Charge As You Drive va permettre de tester la recharge par induction et par rail sur l’autoroute A10, une fois certaines hypothèses levées dans le cadre de tests réalisés en circuits fermés.
En France, l’ERS pourrait permettre une réduction drastique des émissions de CO2. Ainsi, dans un rapport publié en 2021, le ministère des Transports estimait cette baisse à 87 % en comparaison du modèle actuel fonctionnant principalement au diesel, et ce, sous réserve d’électrifier 8 850 kilomètres d’autoroutes et de routes nationales dans la décennie qui vient.
Limites et complémentarité des solutions décarbonées
Les systèmes de recharge dynamique présentent, eux aussi, leurs limites. Outre la présence de câbles aériens évoqués, la construction de ces infrastructures nécessite des investissements d’envergure – estimés, en France, entre 30 et 35 milliards d’euros. En comparaison, les enveloppes du gouvernement pour aider le secteur apparaissent encore timides. Les conditions climatiques, forte pluviométrie ou basses températures, ont aussi des incidences sur leur efficacité.
Il est probable qu’une complémentarité de solutions sera la clé pour parvenir aux objectifs de décarbonation visés.
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