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L’urbanisme transitoire, laboratoire de la ville de demain ?

Quel est le point commun entre les Grands Voisins, la Cité Fertile, Ground Control ou encore Bercy Beaucoup ? Tous ces projets ont investi, pour une durée limitée, des espaces inoccupés en y proposant une programmation souvent mixte, pouvant accueillir des espaces culturels et de loisirs, du coworking, de l’agriculture urbaine, de l’hébergement d’urgence, une ressourcerie… Regroupées sous l’appellation « urbanisme transitoire », ces initiatives font appel à une démarche expérimentale, participative et solidaire, et connaissent un fort engouement en France depuis une décennie. Quelles sont les raisons qui expliquent cet intérêt ? Quel est son impact sur le développement des territoires ? Quelles sont ses limites ? Décryptage. 

Occupation temporaire : un tremplin vers la ville durable

Urbanisme transitoire : de quoi parle-t-on ?

La ville et les territoires se transforment en permanence pour s’adapter aux nouveaux modes de vie. Si le terme d’urbanisme transitoire est récent, les prémices de cette pratique urbaine remontent aux années 70 lorsqu'artistes et punks investissent sans autorisation des friches délaissées pour les convertir en lieux culturels et d’hébergement et ainsi pallier les insuffisances des politiques publiques. 

À mi-chemin entre urbanisme éphémère et urbanisme durable, l’urbanisme transitoire est défini par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme comme « l’ensemble des initiatives visant à̀ réactiver la vie locale de façon provisoire - moins de trois ans en moyenne -, sur des terrains ou des bâtiments inoccupés, lorsque l’usage futur du site n’est pas encore déterminé ou que le projet urbain ou immobilier tarde à se réaliser ». Ces espaces délaissés concernent aussi bien des terrains vagues que des friches ferroviaires, des bâtiments industriels, des hôpitaux, des bureaux…   

Une pratique urbaine qui gagne du terrain en France… 

Explosion des prix de l’immobilier, projets d’aménagement urbain sur le temps long, digitalisation facilitant la mise en relation entre les acteurs de l’urbanisme, et plus récemment vote de la loi climat et résilience avec un objectif de zéro artificialisation nette des sols à l’horizon 2050, offrent un terreau propice à l’essor de l’urbanisme transitoire en France. 

Après des débuts timides dans les années 2010, cette pratique s’est développée rapidement à partir de 2016, avec le succès et la médiatisation du projet les Grands Voisins. Ce lieu d'accueil, d’échanges et d'inclusion sociale a pris ses quartiers au cœur de l’ancienne maternité Saint-Vincent-de-Paul située dans le quatorzième arrondissement de Paris. Même si le mouvement commence à essaimer un peu partout en France à travers des appels à projets urbains innovants pilotés par les organismes publics (Imagine Angers, Dessine-moi Toulouse…), l’Île-de-France reste le foyer principal de ces initiatives. Entre 2012 et 2023, près de 240 projets franciliens d’urbanisme transitoire ont ainsi vu le jour, notamment avec la mise en place d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) par la région Île-de-France. Cet engouement a même amené la ville de Paris à définir une Charte de l’urbanisme transitoire signée par 45 acteurs publics et privés, dont VINCI Immobilier. 

…mais aussi à l’international

Même constat de Berlin à New York, en passant par Genève, Londres ou Montréal. L’urbanisme transitoire est un outil que les acteurs de la ville n’hésitent plus à actionner pour valoriser les surfaces inoccupées ou revitaliser certains quartiers. Au Canada par exemple, de nombreuses initiatives ont été mises en place depuis les années 2010 pour améliorer la qualité de vie des habitants du Vieux-Montréal. En s’inspirant d’exemples de projets réussis en Europe, ils ont proposé de nouveaux lieux de vie : création d’un espace vert éphémère Pigeon Hole, installation d’un lieu de coworking « Nouvelle Vague » à ciel ouvert sur les bords du Saint-Laurent ou encore piétonisation estivale à proximité de la place de la Grande-Paix-de-Montréal.  

Une diversité d’acteurs pour un partenariat 100 % gagnant

Qu’il s’agisse des propriétaires (dont 75 % d’acteurs publics), des occupants (associations, artistes, habitants, entrepreneurs…) ou des collectivités locales (quand elles ne sont pas propriétaires), chaque acteur de l’urbanisme transitoire y trouve son intérêt. Pour le propriétaire, c’est la garantie d’éviter le squat illégal, les frais de gardiennage et la valorisation du bien. Quant aux occupants, ils peuvent tester leur activité ou bénéficier d’un hébergement provisoire en louant des espaces à des prix inférieurs à ceux du marché. Enfin, les collectivités animent leurs territoires et les rendent plus attractifs à moindre coût et dans un temps court. Avec l’urbanisme transitoire est également apparu le rôle de facilitateur, qui met en relation propriétaires et occupants et pilote parfois le projet. Ces intermédiaires se présentent sous la forme d’équipes pluridisciplinaires ou de collectifs hybrides, à l’instar de Plateau Urbain et de Yes We Camp, et participent activement au développement et à la reconnaissance de cette démarche urbaine. 

Autrefois en retrait, aménageurs et promoteurs immobiliers s’intéressent de plus en plus aux projets d’urbanisme transitoire qui leur offrent la possibilité de tester certains usages pressentis avant de lancer les travaux. C’est notamment le cas de VINCI Immobilier sur le projet Mainjolle à Bordeaux. Cette opération, dont la programmation reste à définir, pourrait mixer des bureaux, de la résidence gérée, des commerces ou de la logistique. Grâce à la préfiguration du lieu, le site a pu commencer à vivre avant sa livraison. Investisseurs, locataires, riverains, usagers et associations locales ont ainsi collaboré à la création d’une forêt selon la méthode d’Akira Miyawaki, la mise en place d’une épicerie solidaire et bio et d’un marché éphémère.  

  

L’urbanisme transitoire à l’ère du recyclage urbain

Foncier délaissé : un potentiel de requalification immense

En France, la quantité d’espaces délaissés, bâtis ou non, est considérable. En mars 2024, on dénombrait 10 950 friches en attente d’une reconversion.  

Et en Île-de-France, l’Institut Paris Région a comptabilisé 4,4 millions de mètres carrés de bureaux vacants en 2022, dont 1,1 million depuis plus de deux ans. Un chiffre qui s’est accru avec la crise sanitaire du Covid-19 et la généralisation du télétravail. Face à ce constat, Anne-Sophie Bonin-Ziadi, directrice grands projets chez VINCI Construction et intrapreneure chez Leonard - la plateforme de prospective et d’accélération de projets innovants du groupe VINCI- a créé Tempo.  

La mission de Tempo est d’identifier des bâtiments tertiaires vacants depuis plus d’un an pour leur trouver un usage temporaire, en faisant le lien entre les propriétaires et les acteurs de l’économie sociale et solidaire. L’objectif est de louer ces espaces à des prix contenus ou de les transformer en centres d’hébergement d’urgence.  

Les friches ferroviaires : locomotives de l’urbanisme transitoire 

Depuis 2015, la SNCF - qui possède un patrimoine foncier de 8,5 millions de m² - a permis à des associations et des collectivités d'utiliser ses emprises ferroviaires inutilisées ou en cours de mutation. Cette démarche a fortement contribué à l'essor de l'urbanisme transitoire en France. De nombreux projets d’occupation temporaire ont connu un franc succès (Les Rencontres de la photographie d'Arles, Ground Control à la gare de Lyon et La Cité Fertile à Pantin…) en proposant des espaces uniques et conviviaux, qui favorisent les rencontres et le partage. 

Plus récemment, le projet Bercy Beaucoup, porté par Yes We Camp et soutenu par la Fondation VINCI pour la Cité, s’est installé sur la ZAC de Bercy Charenton à Paris, une friche ferroviaire d’un hectare. L’ambition de ce projet ? Faire émerger des initiatives à impact positif qui préfigurent l’avenir du quartier, en collaboration avec les habitants, les aménageurs, les institutions et les urbanistes. Le résultat est un tiers-lieu créatif, qui accueille entre autres, un jardin partagé, une ressourcerie, des centres d’hébergement, une guinguette, une pépinière… dont certains usages seront intégrés au projet définitif. 

Des projets qui dessinent la ville de demain

Urbanisme transitoire : un instrument d’innovation urbaine 

En adoptant une démarche flexible et itérative, les projets développés dans le cadre de l’urbanisme transitoire participent au renouveau de la fabrique urbaine, en expérimentant de nouveaux usages, en imaginant le quartier du futur. Axés sur l’urbanisme local, ils mettent en avant des programmations mixtes et évolutives, tournées vers des activités aussi variées que l’événementiel, l’art, la culture, la musique, le sport, l’habitat, l’agriculture urbaine…  

L’urbanisme transitoire crée des lieux dédiés à l’écoute, des espaces communs disponibles invitant chacun et chacune à s’impliquer et à proposer des usages innovants et expérimentaux pour influer à plus large échelle sur la suite du projet urbain, autant que possible. 

Joanna Haddad, coordinatrice du projet Bercy Beaucoup pour Yes We Camp.

Des projets coconçus, favorisant la frugalité

La réussite d’un projet d’urbanisme transitoire repose sur la cohésion et la participation active de toutes les parties prenantes au projet. Les habitants du quartier et les associations locales doivent donc être informés et impliqués dans la conception du site et dans le choix des activités qu'il accueillera. À ce titre, l’urbanisme transitoire est donc un outil de coconception permettant de répondre à court terme à des besoins sociaux, tout en préparant les transformations urbaines sur le long terme.  
En outre, dans un monde où les ressources matérielles tendent à diminuer fortement, et où il est nécessaire d’imaginer des villes plus frugales, plus résilientes et plus durables, l’urbanisme transitoire valorise l'économie circulaire et les solutions low-tech*, en privilégiant les circuits courts et en faisant appel aux filières du réemploi.  

* « Les low-technologies sont des systèmes simples, durables et accessibles en termes de coûts et de savoir-faire. Leur impact sur l’environnement est faible car elles privilégient les matériaux de récupération et des fonctionnements peu énergivores, l’idée étant de faire mieux avec moins. »

De nombreux défis à relever

L'adoption de l'urbanisme transitoire par les acteurs de l'aménagement du territoire a accéléré son encadrement par des règles et des lois. Le risque de cette institutionnalisation ? Une complexification des démarches administratives et un allongement les délais d’instruction des projets pouvant retarder leur réalisation. Or, dans une telle démarche, le temps est crucial. Il faut donc réussir à simplifier les étapes de validation pour que les projets puissent se concrétiser rapidement et amortir les investissements. 

Trop de normes peuvent également nuire à la diversité des projets d'occupation temporaire et les empêcher de répondre aux besoins spécifiques de chaque lieu. Il est donc important de trouver un bon équilibre entre les règles nécessaires et la liberté créative des acteurs de l'urbanisme transitoire pour qu'il continue à servir de laboratoire de la ville de demain. 

Si la phase temporaire est essentielle pour tester et affiner les concepts d’un projet urbain, il faut néanmoins penser dès le début à l'utilisation future du site et à la manière de réussir la transition vers son usage pérenne.